BJÖRK - PARIS, ZENITH, Samedi 6 juin 1998
Mystique: n.f. la mystique: par analogie, manière plus passionnelle que rationnelle d'envisager une idée, une doctrine. - Lat. mysticus, gr. mustikos, "relatif aux mystères".
Comment parler de ce concert de manière raisonnée, rationnelle? Ou plutôt: comment puis-je, moi, parler de manière rationnelle de n'importe quel concert de Björk? Je suis un être éminemment rationnel. Logique, calme voire posé, affectant la plupart du temps un détachement certain, ou une tranquille nonchalance.
Sauf en ces occasions.
Oh, je ne deviens pas hystérique, non! Mes gestes restent mesurés, mes pensées claires. Aussi claires que peut être le Chaos... La tempête se lève sous mon crâne dès qu'elle entre en scène. Mes yeux se rivent sur un ange blanc aux pieds nus, et à partir de là mon cerveau se déconnecte. Mes pensées libérées s'éparpillent, se disloquent, se tordent en des connexions improbables, échappant à tout contrôle. Les spécialistes de l'analyse objective vous diront que Björk était ce soir en petite forme, que sa voix n'était pas aussi puissante qu'à l'accoutumée, que sais-je encore... De mon côté, je n'ai pas les moyens d'effectuer quoi que ce soit d'objectif ici. Ma raison a démissionné depuis longtemps, dès le Debut. Quand la voix de Björk s'élève, je ne suis plus là dans la fosse écrasé contre une grille, je m'élève avec elle dans des cieux d'apocalypse, je suis en Islande entre une lande de glace et un volcan qui crache sa lave. En petite forme? Malédiction! Que dois-je comprendre? Que le tremblement de terre qui m'a agressé les entrailles pendant plus d'une heure n'était qu'un léger séisme passager et anecdotique? Au diable! Quand Björk chante Hunter, je chasse mes proies dans un fjord; quand elle chante Bachelorette, je suis "une fontaine de sang en forme d'homme"; quand elle chante Violently Happy, je suis extatique. Transporté à des années-lumière quelque part dans le Björkland, un nombre incalculable de pensées insensées tirées sur moi à boulet rouge me détruisent de bonheur. Je me dis que je suis heureux de vivre sur cette planète et à cette époque, sans quoi j'aurais pu ne jamais subir ça. Et le simple fait de savoir qu’elle existe bel et bien me redonne une foi sauvage en l'avenir de l'humanité. Soit autant de sentiments décalés, disproportionnés et vains qui ne résisteraient pas un quart de seconde à l'analyse. Vous étiez prévenus: en ces occasions c'est la mystique qui me gouverne. Pour le meilleur et pour le meilleur.
