PAK & KADO
Réveil.
Max Pak est un scientifique. A vrai dire, il a même tout du scientifique tel que l'imaginent généralement tous les non scientifiques - ce en quoi ils n'ont donc pas forcément tort, même si le préjugé de base reste définitivement crétin.
Max est un homme qui a déjà bien vécu. La quarantaine, lunettes, célibataire, un peu dégarni sur le sommet du crâne, le reste de ses cheveux adoptant invariablement la coupe dite "Rambo", rapport à l'étonnante similitude existant entre la pilosité capillaire de Max et celle du susnommé dans le film du même nom - similitude purement involontaire, Max n'ayant jamais vu le dit film, et de toute manière il n'y a pas de peigne dans son appartement. Par ailleurs, là s'arrête toute ressemblance entre Max et Stallone.
Max est supérieurement intelligent. Physique nucléaire et astrophysique sont pour lui des hobbies, il maîtrise l'informatique et les mathématiques comme si il avait lui-même inventé ces disciplines, et dans sa jeunesse il codait des démos dans les groupes les plus prestigieux. Il est aussi un peu dans la lune, ce qui est souvent le cas des gens doués pour l'abstraction. D'ailleurs, la lune, il connaît: Max travaille pour la N.A.S.E. depuis vingt années.
En fait, c'est précisément la raison pour laquelle, la veille, il a fêté la chose - vingt années de bons et loyaux services - avec quelques uns de ses amis, scientifiques également, comme il se doit.
Coïncidence fabuleuse, c'est également la raison pour laquelle le fait de frapper à sa porte ne produit pas le 'toc-toc' habituel, mais un 'boum' assourdissant et pervers qui, depuis cinq minutes maintenant, lui martèle le cerveau: les cuites, Max n'a jamais pu les encaisser. Son truc à lui c'est le litre de lait, pas le litre de rouge.
On ouvre un il. Y'a pas, ça fait boum. Pénible.
Max s'assoit sur le rebord du lit. Il s'interroge:
- Bonne mère, mais qui a allumé la télé à fond pendant la nuit? Bordel, et c'est pour ça que je paie une redevance? Je suis maso.
La télé est éteinte. C'est un peu normal, ça fait trois ans qu'elle ne marche plus. Ce qui n'empêche pas Max de payer la redevance tout de même, le monde étant l'étrangeté que l'on sait.
Après un douloureux effort de réflexion, Max Pak se lève, enfile ses chaussons bleus, et va ouvrir la porte, en traînant les pieds.
A peine l'a t-il ouverte qu'une fusée verte s'engouffre en gesticulant dans la pièce: pantalon vert, chemise verte, ça ne peut être que Jonathan.
Jonathan Kado, la quarantaine également, cheveux roux, petite taille, grand esprit. Signe particulier: s'habille invariablement en vert.
Jonathan est l'acolyte favori de Max. Ils se connaissent depuis vingt-cinq ans, travaillent au même endroit, et ont globalement les mêmes intérêts. Deux compères inséparables, finalement.
Jonathan sourit à son ami:
- Max, putain, t'es vraiment qu'une loque!
Ne vous y trompez pas: ces deux là s'apprécient et ont beaucoup de respect mutuellement l'un pour l'autre. Ils en sont juste au point où deux hommes peuvent s'insulter et se dire les pires horreurs sans que cela ait la moindre répercussion sur la qualité et la solidité de leur amitié.
- Et alors, je suis chez moi, je fais ce que je veux! Fais pas chier! Pourquoi tu me réveilles de grand matin, d'abord?
- Il est deux heures de l'après midi, sale flemme! Et tu ferais mieux de bouger ton gros cul jusqu'au Centre, si veux tomber dessus!
- Euh...hein?
- Sur le cul! Tu vas tomber sur le cul! Viens j'te dis, p'tain, allez! Magne!
Deux minutes et quelques protestations plus tard, Max Pak et Jonathan Kado roulent vers le Centre - à savoir le Centre de Recherches ExtraTerrestres International Néoformé, plus modestement rebaptisé "le Centre" après qu'on se soit aperçu que les initiales ainsi introduites, C.R.E.T.I.N., n'étaient sans doute pas les plus aptes à démontrer le sérieux et l'efficacité de la profession, au crédit de laquelle on n'en trouvait d'ailleurs pas beaucoup.
Quoi qu'il en soit, le Centre était un bâtiment imposant qui forçait le respect de plus d'un de ses détracteurs - jusqu'à ce que le dit détracteur vienne à se demander quel pouvait bien avoir été le prix d'un tel édifice, et reparte mesquinement à l'attaque.
Jonathan roula vite et arriva rapidement devant le poste de contrôle du Centre, point de passage obligé pour tout visiteur. L'incorruptible et l'inévitable Fred, gardien des lieux, veillait au grain.
- Salut Jon! lança Fred. Fais voir ton autorisation.
- Fred, Fred, Fred.... implora Jonathan en secouant la tête. Ca fait dix ans que tu me la demandes mon autorisation! Tu vois pas que c'est moi?
Fred, comme chaque fois, ne se laissa pas démonter:
- Mon pote, ça fait dix ans que quand j'arrive chaque matin je commence par vérifier ma propre carte, alors n'essaye même pas! Chaque soir j'oublie tout le monde, et je redécouvre de nouveaux visages chaque jour. Fais voir ta carte Jon, allez!
Jonathan obtempéra: il n'avait pas que ça à faire et il valait mieux céder avant que ses nerfs ne craquent.
- Alors, voyons comment tu t'appelles, Jon. Hmmmmmmmmm.... t'écris mal, mon pote. Jo-na-than Ka-do. Tiens, j'ai toujours cru que tu t'appelais Jon. Je dois te confondre avec quelqu'un d'autre. Enfin c'est en règle. Et lui c'est qui?
- Hein? Bordel tu sais très bien qui c'est, c'est Max!
- Connais pas. La carte. Hop, hop!....oui....montre voir ça.. Max Pak. Ah, t'as raison, il s'appelle Max. Bonjour m'sieur Pak! Ok les potes, c'est bon, vous pouvez rouler!
Jonathan lui lança un regard noir et écrasa l'accélérateur. La voiture fit une embardée et continua son chemin vers les parkings souterrains du Centre. Max commenta:
- Complètement parti du bulbe, le gars. Pourquoi ils le gardent? Pour faire leurs expériences dessus?
- Rien à foutre, oublie cet esclave du goulot, on a mieux à faire! Pourquoi crois-tu que je t'ai tiré du lit de si..bonne heure? Devine un peu, hihihi! Non, tu devineras jamais!
Jon était hilare. Un vrai gosse.
C'était très mauvais signe: en général il se comportait de la sorte quand il préparait un mauvais coup. Et en général, quand Jonathan préparait un mauvais coup, ça retombait sur Max.
- Euuuuuuuuuuuuuuummmmmmmm.... je sais pas, ils t'ont alloué des crédits pour que tu construises la première décharge de l'espace près de la fosse à purin d'Altaïr?
- Naaaaaa, encore mieux! répondit Jon, excité comme une puce.
Bigre. C'était plus grave que prévu. En temps normal il l'aurait renvoyé vite fait dans son terrier à grands coups de "T'es qu'un nopek!", "Ferme ton clapok!" ou toute autre insulte de la même veine. Au lieu de ça, rien. Même pas bronché. De quoi se vexer. Ou s'inquiéter.
- Tu m'inquiètes, Jony. Mieux que la fosse à purin d'Altaïr, à part Beaubourg, je vois pas. Et ça m'étonnerait qu'ils se soient décidés à raser ce tas de boue.
- Hein? Max...nous sommes au Centre de Recherches ExtraTerrestres, pas au Luna Park. Tu travailles ici depuis vingt ans. Dans quel but, s'il te plaît? J'insiste: Centre de Recherches EXTRATERRESTRES.
Il y eut un déclic dans le cerveau de Max.
- Tu....Noooon?...ils...ils ont quelque chose? Je rêve, mon Dieu je rêve! C'est quoi? Un signal? Une météorite contenant une nouvelle forme de vie? Un vaisseau spatial repéré en orbite autour de Mars? Alors quoi! Réponds moi bordel!
- Tut tut! Un peu de patience, monsieur Pak! Salive encore un peu..
- Gnnnnyyyy!! Glblnnnaa... RAAAAAAH! Réponds moi ou je mords!
Max Pak était un personnage étonnant. Posé, réservé, un sang froid à toute épreuve lorsqu'il s'agissait de manier un élément explosif ou radioactif avec une précaution infinie sous peine d'anéantissement immédiat et définitif du laboratoire. Mais l'espace, ça, c'était trop. Il suffisait de le brancher sur les canaux de Mars pour qu'il disjoncte complètement et devienne hystérique. Quant à la vie extraterrestre, inutile de dire qu'elle suscitait chez lui des décharges d'adrénaline telles qu'il devenait aussi fêlé du bocal qu'une dizaine de Fred mis en série.
Jonathan gara le véhicule à l'emplacement qui lui était réservé, éteignit le contact et sortit en hâte de la voiture, talonné de près par Max, de plus en plus taré:
- Un OVNI?...Yiiiiark!.. Soucoupe volante?...hika, hika! Une civilisation disparue à la surface de Titan?...OoOooOOooùùùuh!....
- Wozee! On se calme! Déjà, prépare toi à garder toutes tes questions pour toi: on ne sait pas d'où ça vient, on ne sait pas comment c'est revenu, on n'a aucune explication et, inutile de le préciser, c'est du Top vraiment Secret!
Jon et Max traversaient maintenant rapidement les couloirs menant à la partie la plus surveillée du Centre: la Zone 8. Sécurité renforcée, vidéo surveillance, accès limités, fuites minimales. Plus ils passaient les contrôles, plus Max devenait dingue.
- Revenu? Quoi revenu? Qui revenu? On a balancé quelque chose, et c'est revenu, c'est ça? Je sais! Un signal! Un des signaux envoyés partout dans la galaxie pour tenter d'établir un contact! C'est ça, y'en a un qui est arrivé, c'est ça hein, et on a la réponse?! Ahahah c'est génial!
Max était fou de joie.
- Hum, euh. Max. C'est pas ça.
- Oh.
La déception vint s'immiscer sur le visage de Max et y établit son campement.
- Quel dommage... mais à part des signaux, on n'a rien balancé dans le ciel récemment. Ah, si, des déchets. On nous a renvoyé nos poubelles?
- Pas de poubelles. Max. C'est mieux que les signaux.
L'étonnement vint prendre d'assaut la déception et la délogea d'un bon coup de savate.
- Mieux que....???
L'émerveillement rentra dans le lard de l'étonnement et s'installa en maître dans la place.
- Mais de quoi parles-tu donc?
- Juge par toi même, répliqua Jonathan. Et il pénétrèrent dans la salle principale de la Zone 8.
Max suivait Jon. Il vint se mettre à son niveau. Et il vit.
- Il...il est revenu...j'en reviens pas...
Au centre de la pièce se tenait un large piédestal. Sur ce piédestal reposait une sonde. Apposée contre la sonde se trouvait une petite plaque, dont le rôle théorique avait été d'indiquer l'origine de la sonde. Sur cette plaque étaient représentés deux terriens de sexe différent à côté du schéma de la sonde Pioneer X. Une sonde humaine. Lancée par des humains de nombreuses années auparavant. Une sonde qui, en toute logique, aurait du se balader à quelques dizaines de millions de kilomètres de l'endroit où elle se trouvait à l'heure actuelle.
La bouche de Max s'ouvrait et se fermait, mais aucun son ne s'en échappait. Finalement il réussit à articuler péniblement:
- Euh... mais euh... eh mais non! Je veux dire... ohlala!
Jonathan vint interrompre les divagations de Max:
- Mais il y a plus. Regarde un peu par là.
- Il y a plus, répéta Max bêtement, il y a plus...
Il tourna son regard vers l'endroit que lui indiquait Jon.
Ses yeux sortirent de sa tête.
Cachée par une dizaine de techniciens affairés, une seconde sonde jouxtant la première avait échappé au regard de Max. Une copie parfaite de la sonde terrestre connue sous le nom de Pioneer X. Même taille. Même allure. Même petite plaque. A ceci près que les deux créatures qui s'y trouvaient représentées n'avaient rien, rien d'humain.